Série / Témoignage - Debout Citoyen·nes ! Édition 2023

Leila Simondi, 18 ans, étudiante en cinéma d’animation

« Ce qui a changé pour moi ? C’est ce sentiment de force, me sentir debout sur mes pieds, sentir mon poids, sentir que je suis libre et que comme ces femmes, je peux peser, que j’ai ma place ».

Témoignage recueilli le 13 avril 2020

Leïla, est-ce que tu peux me partager le contexte dans lequel tu es venu à Debout Citoyennes, ton état d'esprit du moment et ton ressenti par rapport à l'événement ?

 

C’était pour moi le bon moment. Ma maman m’en avait parlé, elle fait partie d’Eklore. Le concept m’a plus : le fait que ça soit que des femmes sur scène, pour une fois alors qu’elles sont souvent invisibles. J’ai senti qu’on voulait redonner aux femmes une place entière pour qu’elles puissent exprimer leur point de vue. J’ai donc pris des places pour moi et deux amies avec l’envie d’avoir des inspirations plus féminines, qui nous manquent aujourd’hui. Dans la vie, je ne rencontre pas beaucoup de femmes qui me racontent leur parcours comme ça. J’étais en plein dans ces réflexions avant de venir, puisque juste avant j’ai participé à deux actions féministes et anti-féminicides. Du coup quand je suis arrivée, j’étais à la fois révoltée et motivée, en quête d’inspiration et de courage. Et là j’ai ressenti beaucoup de douceur. Je sentais qu’il fallait que je sois là quoi qu’il arrive, et j’ai tout de suite compris que ça valait le coup d’essayer de faire quelque chose pour et avec les femmes. Ces 3 actions mises bout à bout avec chacune leur couleur – révolte, union ou transmission – ça m’a donné un grand panorama vivant de ce que ça donne des femmes qui arrivent à s’affranchir. J’avais le cœur rempli à la fin du week-end, des étoiles dans les yeux et un sentiment « sorore » hyper chaleureux.

 

Si tu te replonges dans ce que tu as vécu à Debout Citoyennes, quel serait le moment que tu aurais envie de partager, qui t'a particulièrement touchée ?

 

En fait, il y a un discours qui m’a beaucoup parlé, qui m’a mis les larmes aux yeux. Et qui a fait pleurer mes deux amies aussi. Elle a fait un discours sur la sororité, en expliquant que la capacité de lien entre femmes leur a été arrachée. Comme pour leur enlever leur puissance, en les opposant, en les mettant en conflit avec leur corps et leur féminité, en leur proposant un modèle bien rangé avec un mari et la sécurité financière qui va avec. Et comment ces schémas leur ont enlevé leur pouvoir financier, leur pouvoir de se relier ensemble. Le seul pouvoir qu’on leur a laissé c’est celui de la séduction, qui a généré encore plus de séparation entre les elles. Quand cette femme a mis des mots sur ça, avec à la fois de la révolte et de la douceur, ça m’a fait chaud au cœur. Ça a mis des mots sur ce que je vivais, ça me donne confiance en moi et mes ressentis.

 

Et puis, il y a eu la femme qui a parlé de femmes et argent [Emmanuelle Gagliardi]. Je n’avais jamais regardé la question sous cet angle, jamais pensé que l’argent appartenait plutôt aux hommes. Je me sens assez libre, je ne suis pas très matérialiste et je me dis toujours que je pourrai faire sans trop d’argent… Mais là, j’ai réalisé que l’argent était aussi un pouvoir, le fait que les femmes soient sous payées créé de la soumission. Parler du « plafond de verre » m’a permis de faire le lien, de voir comment ce rapport de soumission s’installe. Comprendre comment cette injustice s’est installée permet de mieux lutter contre. L’argent des femmes c’est aussi leur indépendance. J’ais pris conscience de ça, et ça me rend plus forte. 

 

Avec ces prises de conscience, maintenant que Debout Citoyennes a eu lieu, qu'est-ce qui a potentiellement changé pour toi ? Qu'as tu as envie de retenir ?

 

Je ne sais pas si je pourrais mettre des mots dessus. C’est plus un sentiment physique : la sensation de me sentir plus construite, plus sûre de moi, plus à ma place, je peux moi aussi entreprendre mes projets. En voyant des femmes qui se sont lancées, comme la jeune Léa Moukanas, ça me donne de la force pour ne pas rester dans mes peurs et agir. Léa voulait faire son projet fou pour sa grand-mère, elle s’est lancée, elle s’est fait confiance. Donc ce qui a changé… c’est ce solide sentiment de force, me sentir debout sur mes pieds, sentir mon poids, sentir que je suis libre et que comme ces femmes, je peux peser, que j’ai ma place. Les femmes sont privées de modèles. Avec ces femmes, je me suis sentie plus forte. Ce que je sentais de manière floue dans mon corps est devenu visible, tangible. Ça a boosté ma motivation, mon envie de nous soutenir. On n’arrive pas toujours dans la vie à tisser cette force commune, et là, voir que c’était réel, sentir cette énergie entre nous et ce potentiel, ça m’a réchauffée.

 

Et pour continuer à nourrir tout ça, pour prolonger cette sensation de force et de chaleur, qu’est ce que tu as fait depuis ou aurais envie de faire ?

 

Ce sentiment de force m’a permis de reconnecter à un court métrage que j’ai fait sur la violence sexuelle. Beaucoup de gens suite à ça sont venus me voir, pour me dire que j’avais matérialisé leurs pensées. Ça me donne envie d’assumer plus mes propres projets artistiques, de manière plus engagée. Je vois l’art comme un réseau social, une base que l’artiste pose qui va servir d’échanges, qui va faire émerger des idées chez l’autre et tisser un lien entre les gens. Je veux faire de l’art un créateur de liens. Debout Citoyennes m’a donné envie d’oser montrer ce que je fais sans peur du jugement. C’est comme si les femmes sur scène m’avaient transmis quelque chose de très concrets, une force que je peux maintenant transmettre aux autres, comme un bâton de relais. 

 

Mes copines aussi ont ressenti cette force. Elles n’avaient pas forcément confiance en elles, en tant que femmes. Après Debout Citoyennes, l’une d’elle a eu envie de créer un projet de court métrage en réponse à quelqu’un qui a dit que les féministes sont des harpies. Elle a reconnecté à elle, elle s’est dit « j’ai le droit de dire ce que je pense et ressens ». Ca lui a donné envie de se lever !

 

Merci Leila de me partager ta force. Si ce dernier temps de l'interview, c'était toi qui le définissais complètement, de quoi aurais-tu envie de parler ?

 

De quelque chose de bizarre. J’ai lu Sorcières de Mona Chollet. Elle parle des caractéristiques de sorcières qu’on brûlait, et quelque part ça parle de nous : des femmes libres, qui transmettent. Et bien je sens que ces femmes sont descendantes de ces sorcières, elle relaient à leur tour ce qu’elles ont à partager en tant que femmes libres. Une lignée de femmes qui sont allés jusqu’au bout de la transmission.

 

Ton mot de la fin, chère transmetteuse et femme libre ?

Force 

 

 

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