La nature peut subvenir aux besoins de tous, pas aux caprices de chacun

Tout est devenu systémique.

Le confinement auquel nous avons tous été soumis et la crise sanitaire qui a agité́ – et agite encore – l’humanité́ ont été une source constante de questionnement. Le confinement, imposé par un ennemi invisible et méconnu, a réussi à figer plus de la moitié de la planète. 

Après l’inévitable sidération, nombre d’entre nous ont cru, dans un élan naïf et sincère, que tout allait changer, que les choix et les modes de vie allaient s’en trouver grandement modifiés pour s’orienter vers un meilleur, individuel et collectif, consenti par tous. Est-ce le cas ? n’assistons-nous pas, au contraire, à une reprise sans discernement et sans mémoire d’un monde d’avant toujours plus cupide ? Comme si nous sortions d’un régime alimentaire drastique, immédiatement suivi d’une reprise de poids d’autant plus importante que l’espérance de l’allègement avait été intense. Et nous revoilà souffrant de la même boulimie, contraints à̀ une consommation forcenée visant à̀ remettre en route les engrenages de ce « fameux » monde d’avant. 

Pour un citoyen engagé, pas un décideur, mais un membre curieux et actif de la société́, de la sphère associative et de l’entreprenariat, il est important d’influer sur le cours des choses en brisant des tabous et en mettant à mal des préjuges ancrés de longue date. Se pose alors la question de cette attente d’un monde nouveau, vite désuète : à peine avons-nous eu le temps d’observer l’eau claire, de voir circuler quelques poissons dans une limpidité́ retrouvée, que la surface de l’eau s’est troublée. 

 

DE FORMIDABLES ÉLANS DE SOLIDARITÉ. 

Ce confinement inédit n’a fait que révéler le tragique de notre monde, de notre façon de l’envisager avec, en point d’orgue, le duo « bien vs mal », sans aucune nuance. Aurions-nous dû espérer le bien après tout ce mal ? Sans doute pas. Même pendant ce temps « hors sol », la grille de lecture imposée, celle des médias et des réseaux sociaux, est restée immuable et beau- coup peuvent en témoigner. Les citoyens engagés, contraints de reporter à des jours meilleurs – ces « fameux jours meilleurs » – leurs missions associatives, ont accompagné́ de formidables élans de solidarité́, notamment au sein de quartiers stigmatisés. Ainsi des distributions alimentaires quotidiennes, déployées par des jeunes si souvent humiliés, pourtant sur le pont du matin au soir, à Rungis ou dans les immeubles, sans jamais rechigner ni se défausser. Invisibles, avec enthousiasme et générosité́, ils ont retrouvé́ leur dignité́ en accompagnant d’autres jeunes dans un élan de solidarité́ retrouvée. On les a peu vus sur les plateaux télé́ ou dans les journaux où tous les spécialistes autoproclamés se relayaient pour entretenir les affres du monde d’avant en se focalisant sur deux ou trois exactions faisant de l’ombre à la grande majorité́ ces engagements humanistes. Il était pourtant là, le monde de demain, dans ces jeunes pousses joyeuses et courageuses, dans tous ces mouvements et ces évènements qui ont rythmé́ le quotidien du confinement. Il germait. Il fallait juste s’en saisir pour l’amener à̀ maturation, mais chacun est vite retombé dans ses travers, dans son addiction aux écrans, aux infos, qui se chassent l’une l’autre, sans vérification, dans la course au sordide, au laid, au détestable. Souvent au mercantile. 

La crainte est là, dans l’observation de ce monde abimé́ et à bout de souffle qui revient au galop, toujours plus dématérialisé́, livré aux algorithmes, à l’intelligence artificielle, aux Gafam1. Si le confinement a pourtant pu servir une cause, c’est qu’il a permis de révéler un écosystème qui asphyxie, impose et ne laisse plus de libre-arbitre aux citoyens-humains. Le constat est clair et l’effet loupe, impitoyable : ça dysfonctionne. 

Dès lors, quelles pourraient être les propositions, les issues envisageables ? elles sont toutes obstinément adossées à̀ une lecture écologique, égologique de nos actes immédiats et de nos comportements, à une reconsidération nécessaire de notre environnement, de notre terre, de mère nature. Bien sûr, on a observé́ quelques esquisses allant en ce sens, mais elles doivent s’intensifier avec constance. 

 

Faisons le pari de redevenir des sapiens éclairés en étant nostalgiques du futur.

 

Il faut consommer autrement, cesser d’appauvrir des terres trop sollicitées et maltraitées, respecter les cycles et la saisonnalité́, retrouver notre place sur une terre nourricière, généreuse et prolifique, rendue stérile. 

Car tout s’achète et se concentre entre quelques mains avides de pouvoir, d’enrichissement et d’asservissement... On neutralise la fertilité́ gratuite et abondante de la vie en épuisant les cycles naturels, en monnayant des semences et des graines pour enrichir toujours plus des marchands sans âme. On achète l’air, la terre, l’eau... et toutes les ressources qui s’épuisent, se tarissent sans le moindre état d’âme des acteurs du mercantilisme. 

Alors pourrait-on quand même semer les graines d’un monde d’après ? en appelant à une lecture écologique de notre façon de vivre au sein des vivants, de tous les vivants, sans exception, qui ont chacun le même droit de cité sur terre que nous, humains. Chacun y a sa place, y compris au cœur de l’architecture minérale des villes qu’il faut végétaliser afin d’accueillir une vraie biodiversité́, vitale pour l’homme. Et si un ministère de la Politique de la Ville a existé́, pourquoi ne pas créer un ministère de la Politique du Vivant ? 

Le confinement a permis de prendre conscience que la vie est fragile et que chacun est précieux. Chaque vie, humaine et animale, est unique dans sa spécificité́. Et la seule norme à laquelle nous devons adhérer, c’est justement celle de la différence. Dans la prochaine civilisation, espérons que la norme sera la différence. 

On utilise très souvent l’adjectif systémique. Tout est de- venu systémique, le pire comme le meilleur. Alors, bien sûr, il faut créer des systèmes, des organisations qui refusent la standardisation et accueillent la diversité́ et accompagnent le rythme de chacun. Les systèmes doivent respecter les différences et ne pas les formater pour les neutraliser. Chaque rythme nourrit le rythme de l’autre. Un vieil adage affirme qu’il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Il faut refuser l’instinct grégaire et le conformisme. 

Comment envisager le monde de demain ? Avec une composante écologique empreinte de biodiversité́. Pour re- nouer avec la terre, la seule dont nous disposons à ce jour et que nous maltraitons. Et puis sans doute, un jour prochain, l’humanité́, dans la grande fraternité́ qu’elle s’est découverte dans la peur d’un virus, s’inventera un destin commun fondé sur la pollinisation de l’espace. Sortons de cette addiction de l’économie de la mort en nous ouvrant à l’économie de la vie. Et si tous les milliards servaient à̀ retrouver cette identité́ d’origine à laquelle chacun a droit ? Comme Noé́ et son arche, humains et animaux s’embarqueront vers d’autres planètes et tenteront d’y essaimer de bonnes pratiques, avec force et humilité́, en respectant l’instinct de vie. Dans le respect de chaque vie, si minime soit-elle. Avec autant de protection que nos ancêtres en avaient pour protéger la petite flamme récupérée d’un éclair alors qu’ils ne connaissaient pas encore le feu. 

 

Faisons le pari de redevenir des sapiens éclairés en étant nostalgiques du futur. Sans être des humains capricieux, mais des humains précieux, comme la vie.  

 

 

 

Ryadh Sallem, sportif multidimensionnel

Le monde d'après II
France Forum, n° 78, octobre 2020

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